À LA DECOUVERTE DU KŌDŌ
Le kōdō est l’art ancestral japonais des parfums. Signifiant littéralement "la voie de l’encens", il fait partie de la trinité artistique japonaise aux côtés de la cérémonie du thé ("chanoyu") pendant laquelle on prépare et boit le thé matcha et de l’arrangement floral ("ikebana"). Souvent moins connu que les deux derniers, il s’agit aussi de l’art le plus dur à maîtriser. On estime qu’il faut environ 30 ans d’apprentissage pour passer maître dans l’art du kōdō.
L’encens occupe une place très importante au Japon. Il est autant utilisé pour parfumer les intérieurs et les vêtements que pour rendre hommage aux ancêtres. D’une manière générale, un parfum peut être lié au bien-être et à la séduction mais, ici, il touche aussi à une dimension plus spirituelle. Une odeur peut nous évoquer un bonheur, éveiller avec nostalgie des souvenirs, apaiser notre esprit ou encore stimuler notre activité intellectuelle.
Le kōdō se base à la fois sur la concentration et l’olfaction. Le but est d’apprécier la senteur qui se dégage de l’encens dans un monde immobile, offrant un moment quasi méditatif, afin d’atteindre un niveau sensoriel supérieur.
Histoire et origines du kōdō
Avant d’être considéré comme un art, le kōdō était avant tout un passe-temps de l’aristocratie qui se réunissait pour deviner les différentes odeurs mélangées dans un seul et même encens.
L’encens fut importé de Chine au Japon au VIe siècle. Son utilisation se développe avec les locaux de l’île d’Awaji. On raconte que des villageois avaient récupéré des bouts de bois et les avaient brûlés, dégageant des senteurs merveilleuses qui profitaient à tout le village. La pratique se fit alors rapidement connaître. L’île d’Awaji est aujourd’hui considérée comme le cœur du kōdō, réunissant les maîtres en la matière qui fabriquent des encens avec des arômes naturels de bois, d’herbes et de thé.
L’encens fut en parallèle beaucoup utilisé par les moines bouddhistes lors de cérémonies.
Cette pratique attira fortement les nobles. L’encens se développe durant la période Heian (794-1185). Il arrive facilement depuis la Corée grâce à la Route de la Soie. Les femmes prennent l’habitude de parfumer leurs robes et leurs éventails avec de l’encens. Le phénomène de brûler de l’encens et d’apprécier ses odeurs est diffusé dans la littérature à travers de nombreux poèmes et contes. Le plus connu est le conte de Genji, une œuvre centrale de la littérature japonaise qui met en scène la vie des courtisans de l’époque, écrite par Murasaki Shikibu. Chaque chapitre du recueil est illustré visuellement par une calligraphie et olfactivement par une combinaison de bois précieux.
Enfin, l’encens est régulièrement utilisé par les guerriers pour purifier leurs âmes avant une bataille.
Il faut attendre le XVIe siècle pour que l’on parle de cérémonie du kōdō à proprement parler, en même temps que s’établit une véritable codification de la cérémonie du thé et de l’Ikebana.
De nos jours, cet apprentissage est très confidentiel. On ne trouve que deux écoles au Japon : l’école Oie à l’approche très artistique et l’école Shino, offrant une approche plus spirituelle. Chaque école ne compte qu’un seul "grand maître", un titre et une véritable vocation transmise de génération en génération depuis 500 ans.
En quoi consiste le kōdō ?
L’art du kōdō repose sur trois piliers : le raffinement, la précision et la délicatesse. En effet, le parfum des encens étant si subtil, il requiert un cérémonial très codifié afin de l'apprécier pleinement. Tout a son importance : les gestes, le choix de l’encens, le bois du contenant, l’agencement de la pièce, etc. Tout comme pour la cérémonie du thé, l’influence des saisons est très importante pour le choix des parfums.
Lors de la cérémonie, on n’utilise pas seulement son nez pour apprécier les parfums mais l’ensemble de son être. On parle parfois d'"écouter" l’encens plutôt que de le "sentir".
À travers la cérémonie, le pratiquant reçoit les 10 vertus du kōdō. Le but de l’initiation est de trouver le calme intérieur idéal afin d’atteindre un nouveau niveau d’éveil spirituel. En découvrant une autre compréhension des odeurs, les pratiquants du kōdō développent également leur sens olfactif.
Tous les éléments nécessaires à la cérémonie sont choisis minutieusement et manipulés avec un soin extrême. La provenance des bois et des encens détermine le caractère des senteurs. Certains bois utilisés lors de la cérémonie sont multi-centenaires et sont considérés comme de véritables trésors du Japon. Un certain prestige est associé à la cérémonie. Certains encens atteignent d’ailleurs des prix extrêmement élevés.
La pratique et la découverte du kōdō se font le plus souvent grâce à des jeux qui permettent de se familiariser avec les senteurs et de bien les mémoriser. On compte plus de 300 jeux différents. Le plus célèbre est le Genji-kô, un jeu qui se base sur le célèbre conte de Genji.
Lors de ce jeu, le maître de cérémonie choisit 5 essences de bois d’encens différentes qu’il coupe en 5 morceaux chacun. Il place ensuite les 25 fragments dans des enveloppes en papier puis en sélectionne 5 qui serviront pour la cérémonie. Les 52 combinaisons possibles correspondent en fait au nombre de chapitres du conte. Le but du jeu est de reconnaître la nature de chacun des bois sentis grâce à leur parfum et d'énoncer la bonne combinaison, et donc le bon chapitre. Les 5 morceaux peuvent provenir du même bois ou être différents. Le jeu est ardu mais stimulant.
Les vertus de l’encens pour les Japonais
Pour les Japonais, l’encens a de nombreuses vertus.
- il aiguise les sens
- il purifie le corps et l’esprit
- il aide à lutter contre la fatigue
- il guérit l’impression de solitude
- il crée un sentiment d'harmonie malgré les sources de stress du quotidien
- son abondance n’est pas nuisance
- il permet de se satisfaire de petites quantités
- il aide à résister aux effets du temps
- son usage quotidien ne nuit pas
Le déroulement de la cérémonie
Tout d’abord, le maître de cérémonie rentre dans la pièce en adaptant une gestuelle raffinée et précise : il fait de petits pas avec un nombre bien précis, se tourne puis s’assoit sur les genoux sur le tatami. Il déplie sa trousse contenant son matériel pour la cérémonie. Les invités sont également assis sur leurs genoux. Le maître du kōdō fait brûler un petit bout d’encens sur un récipient en porcelaine au fond duquel sont placés des charbons recouverts de cendre, afin de préserver leur incandescence. Une fois le brûle encens constitué, le maître le confie au premier invité qui l'apprécie avant de la poser sur un carré de tissu devant lui - signe, pour l’invité suivant, qu’il peut à son tour se saisir de l’objet. Les invités doivent adopter la bonne gestuelle : il faut tenir le brûle encens avec la main gauche dessous et la main droite sur le dessus et diriger les volutes de l’encens vers le nez. L’invité prend trois inspirations et expirations en veillant à ne pas souffler sur la cendre. Il doit mémoriser la senteur avant de poser le brûle encens et le faire passer à son voisin. S’ensuit ensuite un jeu choisi par le maître de cérémonie pour reconnaître les parfums et les différentes combinaisons. Les réponses sont notées par les invités sur un parchemin. Ce dernier est généralement offert en cadeau à celui qui trouve la réponse exacte ou obtient le score le plus élevé.
À la fin de la cérémonie, l’hôte salue l’ensemble de ses invités, qui baissent également la tête, les mains jointes, en signe de respect.
À la fois complexe et extrêmement raffiné, le kōdō est l’un des plus beaux arts japonais qui reflète bien l'esthétique et la philosophie japonaises, si uniques.
Apprenez-en plus sur l’art japonais avec nos articles dédiés à la cérémonie du thé et à l’Ikebana.